- ÉTATS-UNIS - Le droit
- ÉTATS-UNIS - Le droitLe trait le plus fondamental du droit des États-Unis, c’est qu’il n’existe pas. Il n’est qu’une abstraction. La seule réalité, c’est, d’une part, cinquante droits d’État (un peu plus, en tenant compte du droit de Washington, la capitale fédérale, de celui de Porto Rico, etc.), et d’autre part, le droit fédéral.Si, en effet, la fédération possède un Congrès, un président, une Cour suprême et des juridictions inférieures, les États, de leur côté, ont également un organe législatif, normalement appelé la législature, un organe exécutif, le gouverneur, et un organe judiciaire, coiffé par une Cour suprême de l’État. Les tribunaux d’État jugent 95 p. 100 des litiges opposant les citoyens les uns aux autres.Cet émiettement de la souveraineté entraîne d’inévitables conflits, même dans le simple domaine du droit. Le droit fédéral, en vertu de le Constitution de 1787, l’emporte sur les droits d’État. Mais son domaine est essentiellement limité: la fédération ne possède que les pouvoirs qui lui sont délégués par la Constitution, les États restant souverains dans leur sphère de compétence qui, sur le plan juridique, est très large. On devine l’extraordinaire complexité du droit des États-Unis.Les sources des droitsLes droits des États et le droit fédéral ont, dans des proportions variables, trois sources: la common law , le droit législatif et la doctrine.La « common law »La common law forme le fond du droit des États (à la seule exception de la Louisiane, où s’applique un droit codifié inspiré des textes napoléoniens). Les colons anglais qui s’installèrent sur le continent américain à partir de 1607 y apportèrent la common law anglaise, dans la mesure du moins où elle répondait à leurs conditions de vie.Cette common law, à vrai dire, s’est très vite diversifiée. Elle se développe, en effet, dans les différents États, chacun restant maître de son droit. Il n’y a aucune raison logique pour que la common law du Massachusetts ne soit pas identique à celle du Connecticut; mais il y a une raison politique, aussi forte que simple qui joue à l’inverse: c’est que les juges du Massachusetts n’ont aucune autorité sur ceux du Connecticut et réciproquement, et que les juges fédéraux n’ont, dans le domaine du droit des États, aucun pouvoir ni sur les uns ni sur les autres. Ainsi ne peut-on pas dire que la common law anglaise s’applique aux États-Unis, mais seulement que chacun des États est régi par une common law dérivée de l’anglaise. Ces common laws sont «cousines», mais non identiques, bien s’en faut.On a fait effort pour les rapprocher. En 1842, la Cour suprême fédérale déclara que, lorsque les cours fédérales devraient appliquer le droit d’un État, elles ne le considéreraient pas tel qu’il était, dans ses particularités, mais devraient s’inspirer de l’ensemble des principes généralement reconnus par les États, cet ensemble formant une «common law générale fédérale». Elle espérait ainsi que les États renonceraient progressivement à leur particularisme, qu’ils suivraient cette common law générale fédérale qui, peu à peu déclarée par les cours fédérales, deviendrait pour eux un modèle. Un siècle plus tard, elle dut reconnaître son échec. Depuis 1938, elle prescrit aux juridictions fédérales d’appliquer le droit des États tel qu’il est.Autour de 1920, un groupe de juristes entreprit d’élaborer au moins un exposé précis de l’ensemble des règles généralement admises par les common laws des États: c’est le Restatement of the Law , œuvre importante et utile. Mais, bien que les principes qu’il pose se présentent comme les articles d’un code, leur autorité est plutôt de nature doctrinale: on demande aux États de les suivre, mais chacun conserve son entière liberté. En fait, malgré sa valeur, cette œuvre a rarement amené les juges à abandonner les règles du droit de leur État lorsque celles-ci étaient claires.Les common laws des États-Unis se distinguent de la common law anglaise par le cadre dans lequel elles fonctionnent. En Angleterre, la common law est confiée à un nombre restreint de juges et d’avocats, en général de grande qualité. Elle se développe dans une atmosphère de club. Les principes antérieurement déclarés sont donc scrupuleusement suivis. Aux États-Unis, les juges des États sont élus et les avocats, au nombre de 741 000 en 1989, n’ont pas tous la même compétence professionnelle. Certes, dans certains États, la justice reste en général bien rendue, au sommet du moins, même si l’autorité des «précédents» y est moindre qu’en Angleterre. Mais, dans nombre d’États, le travail de la justice est infiniment moins soigneux.Le droit législatifLe droit législatif joue aux États-Unis un rôle sans cesse plus important.Le droit fédéral est depuis l’origine un droit essentiellement législatif. Il a d’abord sa place dans la Constitution de 1787, dans les lois votées par le Congrès et dans les traités internationaux. Il faut bien sûr y ajouter, formant une sorte de législation secondaire, une masse considérable de décrets, arrêtés, et règlements pris par le président, les secrétaires et les grandes commissions administratives à pouvoir réglementaire. Tous ces textes doivent être lus à la lumière de l’interprétation qu’en donnent les tribunaux. Cette réserve banale est d’une importance particulière pour la Constitution et ses amendements. Si ce document est encore, malgré son âge, la charte fondamentale de la nation, c’est parce que la Cour suprême a su l’adapter lentement – et d’une manière sans cesse contestée – aux exigences de la société et à son évolution.Les États ont, eux aussi, toujours possédé une Constitution. Mais la loi proprement dite s’est seulement développée au fur et à mesure que l’on a voulu soit moderniser le droit, soit le compléter, notamment dans le domaine de la réglementation économique et sociale. Aujourd’hui, la masse des lois de chaque État est fort importante, bien que la common law, on l’a vu, reste le fond du droit. Cette masse est généralement rassemblée et mise en ordre dans des documents qui portent parfois le nom de codes , bien qu’ils soient assez différents de ce qu’on entend par ce terme sur le continent européen. Elle est, comme à l’échelon fédéral, complétée par des décrets, arrêtés et règlements.Le droit législatif est, aux États-Unis, interprété d’une manière plus libérale qu’en Angleterre.D’autre part, les tribunaux considèrent comme de leur mission d’apprécier la conformité de chaque document législatif aux sources de droit qui lui sont supérieures: une loi du Congrès est sans effet si les tribunaux la jugent contraire à la Constitution fédérale (ce qui fut fréquemment le cas à la fin du XIXe siècle et jusqu’en 1936, mais qui est aujourd’hui exceptionnel); une Constitution d’État est nulle dans ses dispositions si elles sont contraires au droit fédéral (Constitution, loi, ou même, théoriquement, décret, arrêté ou règlement); une loi d’État est nulle si elle se heurte soit au droit fédéral, soit à la Constitution de l’État. Chaque tribunal possède ce pouvoir d’appréciation. Mais la Cour suprême fédérale l’exerce en dernier ressort en ce qui concerne le droit fédéral (d’où son importance politique considérable: son pouvoir, par exemple, en se fondant sur la Constitution, de décider du régime juridique de l’avortement). Enfin chaque Cour suprême d’État a pour tâche de contrôler la valeur des lois de l’État au regard de sa propre Constitution.La doctrineLa doctrine, c’est-à-dire l’ensemble des études et commentaires publiés sur les problèmes juridiques ou sur la science du droit, ne peut être considérée comme une source de droit que de la même manière qu’en France. Elle ne s’impose jamais. Elle peut seulement influer sur les tribunaux et les législateurs. On dit parfois très justement que c’est une «source persuasive de droit».Les nombreuses facultés de droit (près de deux cents) sont les grands foyers de doctrine (bien qu’à celle-ci certains magistrats apportent une importante contribution). Si elles n’ont pas toutes la même réputation, les meilleures assurent, grâce à des méthodes d’enseignement originales, une formation de très haute qualité. Un grand nombre d’entre elles confient à leurs étudiants la publication de revues périodiques, dont les plus connues sont excellentes.Les rapports entre droitsCes rapports sont hiérarchiques en ce qui concerne le droit fédéral et les droits d’État, égalitaires entre les droits d’État.Droit fédéral et droits des ÉtatsLe droit fédéral l’emporte sur le droit des États, qui ne peuvent voter de lois que conformes au droit fédéral. Leur common law elle-même s’efface devant lui.Mais ce principe, on le sait également, est contrebalancé par un autre, non moins important: le Congrès fédéral légifère seulement dans les domaines qui lui sont dévolus par la Constitution; il doit, au surplus, observer toutes les règles posées par celle-ci pour le respect des libertés publiques ou des prérogatives des États. Savoir exactement quels sont les pouvoirs du Congrès, telle fut peut-être la question fondamentale des cent cinquante premières années de l’histoire constitutionnelle des États-Unis. Aujourd’hui encore, la question reste importante. L’énumération des pouvoirs du Congrès, que contient la Constitution, est très restreinte. Heureusement, elle comprend le pouvoir de réglementer le commerce entre États, avec les nations étrangères et les tribus indiennes. Faisant valoir cette disposition, le Congrès a pu, malgré l’opposition de beaucoup (et parfois de la Cour suprême), voter toute une réglementation économique et sociale, réglementation que les nations européennes ont généralement adoptée avec quelques décennies de retard. Ce fut le cas pour le droit des sociétés en 1933 et 1934, pour les principes antitrust de 1890, pour le droit du travail. Éventuellement, le texte permettant au Congrès de légiférer en matière de commerce entre les États est utilisé dans des domaines encore plus inattendus: c’est souvent sur lui que se sont appuyés la Cour suprême puis le Congrès pour lutter contre la ségrégation raciale.De cette extension des pouvoirs fédéraux on ne saurait conclure que les États ont perdu leur souveraineté. Il s’en faut de beaucoup.Rapports entre droits d’ÉtatsEntre les États, la règle est l’égalité (en matière juridique, sinon dans le nombre des sièges dont ils disposent à la Chambre des représentants), l’indépendance, le respect réciproque.Non que tout conflit soit exclu. Le problème du divorce au Nevada est un exemple bien connu. La Constitution fédérale, en effet, impose à chaque État de reconnaître «pleine foi et entier crédit» aux lois et jugements pris dans les autres États. Mais le Nevada, ses mines épuisées, en est venu à chercher la prospérité dans le jeu, «l’industrie» du divorce, et accessoirement dans celle du mariage. Ainsi toute personne ayant séjourné six semaines dans le Nevada peut paraître devant un tribunal, jurer qu’elle a fixé son domicile dans l’État, affirmer que son conjoint est insupportable: le divorce lui est accordé sur l’heure. Si cette personne a passé les six semaines en compagnie d’une âme sœur, elle peut alors, en sortant du tribunal, se remarier le jour même. Le problème est alors le suivant: l’État d’origine de cette personne doit-il lui permettre de se débarrasser ainsi légalement de son conjoint? Certains États protestèrent contre les pratiques admises par les autorités du Nevada (pratiques qu’imitent d’ailleurs, avec moins de cynisme, quelques autres États); ils offrirent aux nouveaux époux un séjour aux frais de l’État – en prison, pour bigamie. Le conflit s’est finalement apaisé mais la solution retenue est surprenante. On admet que le divorce, dont la validité est maintenant subordonnée à diverses conditions de procédure, est divisible dans ses effets: le divorcé ne commet pas de bigamie en vivant avec un nouveau conjoint, mais il n’empêche qu’à divers points de vue (financiers, en particulier) il reste toujours marié au premier! N’a-t-on pas dit que le droit des États-Unis était étonnamment complexe?Même lorsque le citoyen ne cherche pas à abuser de la diversité des droits, celle-ci constitue une gêne considérable, notamment dans le domaine commercial. Telle entreprise a rédigé un contrat type, dont toutes les clauses sont valables dans le droit de l’État où elle est établie. Mais ses clients sont répartis sur l’ensemble des États-Unis. Le contrat sera-t-il entièrement valable à l’égard de chacun d’eux? Pour répondre à la question, il faut d’abord déterminer quel droit est applicable au contrat particulier passé avec tel client. Même ce point préliminaire n’est pas soumis à une règle uniforme. Si c’est le droit du client qui est applicable, il n’est pas certain qu’il reconnaisse la validité de toutes les clauses. On comprend que, dès la fin du XIXe siècle, on ait cherché à unifier le droit dans certains domaines, par accord entre les États. Depuis 1912, une institution permanente s’y efforce. Avec l’aide de délégués de chacun des États, elle élabore des textes qui lui semblent acceptables par tous et en recommande l’adoption. Son travail a été considérable et bénéfique à la nation. Après vingt ans d’efforts, elle a même réussi à faire adopter par tous les États, sauf la Louisiane, un code de commerce uniforme, qui régit la vente commerciale et toutes les opérations qui s’y rattachent (dépôt, règlement, sûretés, etc.) suivant des règles soigneusement élaborées pour répondre aux besoins de la pratique.
Encyclopédie Universelle. 2012.